03/10/2009

Hadopi ou la fracture médiatique

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

C’est aujourd’hui veillée d’arme sur l’Hadopi. Le projet de loi entre à l’assemblée demain et je ne veux pas ici en rajouter une nième couche sur les tenants et aboutissants de ce projet. Je veux parler des leçons qu’il y a déjà à tirer sur le traitement média, avec des choses signifiantes à mon goût dans le domaine des médias, du marketing et de la communication.


Veillée d’arme donc. Depuis la DADVSi, j’ai eu 100 fois l’occasion ici de dire que l’industrie du disque se fourvoyait à partir en guerre contre ses clients, que tout ça ne serait que du temps et de l’énergie perdue alors qu’il faudrait plutôt accompagner une économie à grandir et à changer de siècle. Quand au gouvernement, il persiste à regarder le numérique comme l’instrument du mal, en attendant le filtrage généralisé et je ne sais quelle autre mise sous coupe réglée d’un univers que le politique n’arrive pas encore en intégrer. C’est le cas de l’autre côté de l’Atlantique, mais on sait qu’il faut du temps pour que les idées, aussi, franchissent ce dernier. Enfin, sur le plan purement légal, Maître Eolas a formulé récemment une pertinente lecture du texte présenté. Fondamentalement, tout est dans le renvoi des vrais questions à du décret d’application. Sur la faisabilité et le coût des mesures techniques, on est dans le “y’a qu’à faut qu’on” qui ressemble vraiment beaucoup à un mur. Sur l’impact réel de cette loi sur les usages et l’économie, ce n’est même plus de la méthode Coué, ça relève du conteneur de cierges à la grotte de Lourdes. Tout à fond les yeux fermé on se disant que ça va le faire et que, oui, les gens vont arrêter de télécharger et gentiment acheter sur les plateformes légales. Bullshit. Ce que j’en pense, c’est qu’il faut maintenant laisser parler la pédagogie du platane.
Plus intéressant sont les leçons que l’on peut tirer de ce qui s’est déjà produit en terme de traitement socio-médiatique. Comme avec la DADVSI, la mobilisation et le bruit est resté cantonné sur le net. Versac a fort bien tiré la leçon et Linkfluence vient aujourd’hui le montrer.
La société de l’information a des lobbys trop jeunes et si leur impact dans les mondes numérique est flatteur, il n’en ont que très peu sur le spectre qui compte pour les politiques qui nous gouvernent. Ça me rappelle “le Vatican : combien de divisions ?” d’un Staline il y a 50 ans et l’impact du simple “n’ayez pas peur” qui allait en sortir, à mettre en perspective decinq gus dans un garage (déjà mis en boîte).
Cela fait des mois que le web est en feu sur Hadopi et le reste, mais cela a un écho très signifiant au sein des médias de masse. Il est assez éclairant, je trouve, que ce soit la presse papier qui ait pris les devant et propose un regard construit et critique depuis un certain temps maintenant, avec des variations suivant les titres. On trouve ensuite la radio, venue il y a vraiment peu de temps sur ce thème, mais avec le minimum de fond qui permette de faire passer la contestation sur un texte qui demande une certaine expertise sinon technicité. Enfin, dernière venue, quelques heures avant la bataille, la télévision, avec une vision plutôt expédiée et un traitement très surfacique.
Cette chronologie est comme par hasard celle de l’adaptation des médias à la révolution numérique. Du côté de la presse, il y a eu des moments durs de confrontation avec le web, et même s’il y a des scories, on est dans la construction et le changement maintenant. À l’opposé, la télévision commence tout juste à voir le net marcher sur ses plates bandes. Un concurrent qu’elle a jusqu’à présent superbement ignoré et qui n’a pas donné lieu à de véritables remises en causes stratégiques, en France en tous les cas.
J’avais écris que la Société de l’Information est partout, sauf aux parlement. Elle n’est pas non plus à la télé. À observer tout particulièrement le traitement, on pourrait avoir l’impression que le téléspectateur n’est pas un internaute, que ceux-ci sont une minorité et que la majorité des autres est dans l’ignorance de ce qu’ils font. En réalité, le web est un lieu de pratique de masse et mature des français. D’ici deux à trois ans, le plafond de pénétration sera atteint. Actuellement, le web fait le plein de seniors qui se montrent suractifs et très à l’aise vace des usages prétendument l’apanage de petits jeunes décérébrés (et désocialisés pour bien faire).
Fabrice Epelboin a déjà épinglé le traitement que fait France 2 du web, illustration caricaturale de cette négation de la réalité. Il y a des raisons à cela et elles tiennent au fait que les médias, comme la télévision, sont en concurrence avec le web et que, dès lors, traiter le petit nouveau de manière impartiale demandera que ce dernier se fasse respecter.
S’il y a donc un enjeu au débat parlementaire avec Hadopi, ce n’est pas sur le fond. On voit mal le gouvernement retirer son texte, on peut espérer un peu de lucidité et de la pommade. L’enjeu, il est de savoir à quel point la contestation web va s’incarner à l’assemblée. Pas au travers des mousquetaires habituels, plutôt au travers de ces voix qui comprennent, au moins perçoivent, que l’impact dans l’opinion sera grand, à l’opposé de ce que le laissent entendre les cadrans médiatique usuels pour mesurer la contestation.
Ce à quoi je veux en venir, c’est que, ce que dit la différentiation de traitement du sujet par les différents médias n’est pas neutre pour ceux qui reçoivent le message. En faisant le postulat d’aborder le sujet en prenant les gens pour des crétins, ils nient la réalité sociologique du web, ils accréditent l’idée que l’internet est un tuyau à contenu quand il est une réalité sociale. Ils laissent entendre que ce n’est pas bien grave de couper l’accès, alors que leur vie est de plus en plus construite autour de celui-ci, à telle enseigne qu’il en est devenu une nécessité vitale, dans les faits et pas simplement dans l’amendement Bono. Ils donnent à entendre à leur audience qu’ils ne les comprennent pas. Et je ne parle même pas du fait qu’ils signifient des choses en terme d’appropriation du fait numérique pour leur avenir économique. J’amalgame peut-être mais tant pis.
Et si la télévision se tirait une balle dans le pied ? et si elle était une victime collatérale d’Hadopi ? Elle me semble en tous les cas mettre un soin méticuleux à décrédibiliser le web, à dire en creux que ce n’est pas bien ce qu’on y fait et qu’il vaut sans doute mieux garder ses bonnes vieilles habitudes du petit écran d’antan. Pendant ce temps, la télé devient un simple écran, qui affiche bien d’autres choses que des programmes télés et les gens font autre chose que de la regarder. Des choses faites d’interactivité et de lien social, la nouvelle réalité de masse que le web a fabriqué. Les chaînes de télé se soucient-elles que ce qu’elles disent du web fait se dire à leur audience qu’elle ne les comprend plus ?
À l’heure où les annonceurs regardent ce que le web est capable de leur permettre de faire en terme de connectivité à leurs clients et de performance, Hadopi est une étude de cas passionnante. Cela veut dire que l’impact de la mobilisation n’est pas sans signification sur les transferts de budget vers le digital. Nous en jugerons. Mais d’ores et déjà, de constater que la télé ne prend pas en compte le consommateur pour ce qu’il est devenu au regard de ses usages numériques devrait amener ceux qui veulent leur parler à considérer avec circonspection l’état dans lequel le cerveau disponible du téléspectateur se trouve, si tant est qu’il soit sur zone …
À propos, qu’a dit Vinton Cerf l’année dernière sur l’avenir de la TV ?

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