10/26/2011

La gamification: des jeux et des marques

Author: Manuel Diaz

La gamification, pour ceux qui n’aurait pas encore eu vent de ce concept devenu un « buzzword » l’année dernière, se définit par le fait d’intégrer des mécaniques issus du jeu – et particulièrement des jeux vidéo – dans des domaines qui y sont étranger. Elle apparaît aujourd’hui comme un moyen à la disposition des marques pour engager leur consommateur. L’occasion pour nous de faire un point sur le sujet.

 

Le but de la gamification est de faciliter une action de la part des individus en réduisant les barrières à l’effort : on rend un processus moins pénible, plus ludique. On va également mettre en place des récompenses pouvant être matérielles ou psychologiques (« rewards »).

 

 

On peut citer par exemple l’utilisation de comptes à rebours (dans le but susciter un sentiment d’urgence), l’emploi de barres de progression, de « niveaux » ou de « points d’expériences »  (dans l’optique de fidéliser les consommateurs) ou encore la dotation de badges et la création de classement (pour récompenser, créer de la valorisation sociale ou susciter un esprit de compétition)…

Il est évident que dans une démarche marketing, le fait d’engendrer une contribution active de la part du consommateur est plus intéressant qu’une attitude passive car cela implique une véritable expérience, un engagement mental et/ou physique avec la marque.

 

On voit donc émerger ce phénomène un peu partout et notamment dans les programmes relationnels. Depuis 2009, Starbucks a « ludifié » sa carte de fidélité : le client se crée dans un premier temps un avatar, puis ses achats lui permettent d’accéder à des « levels» successifs, tout en étant récompensé sous la forme de réductions ou de petites dotations. Le meilleur exemple de programme de fidélité par le jeu reste celui du Monopoly McDonald’s, qui avec ses gains à court et long termes, employait une forme de gamification bien avant que le terme ne soit inventé.

 

Quel bénéfice émotionnel pour le consommateur ?

Les jeux-vidéo racontent une histoire et fournissent un challenge au joueur, ils sont générateurs d’émotions. Un bon jeu et par extension une bonne gamification doit comporter un bon équilibre entre la compétition qu’il propose et les récompenses auquel il permet d’accéder, mais aussi être pensé dans une logique de storytelling. Il n’y a aucun challenge dans le fait d’acheter plusieurs fois un même produit dans un même lieu, et pas non plus réellement d’histoire.

 

Il faut donc se poser la question de l’action que l’on souhaite « gamifier » : elle doit avoir un sens. Pour une marque de sport, c’est simple : l’action est de faire du sport, (et pas simplement d’acheter une paire de baskets). Nike l’a très bien compris avec son opération Nike Grid qui avait transformé Londres en terrain de jeu, ou avec son application mobile Nike +. Pour une marque d’électroménager le processus est déjà plus compliqué: on pourrait imaginer un badge ou un reward « +15 Super Père/Mère de famille » pour avoir fait la lessive pour toute la maison, mais ce qu’attend un parent c’est la reconnaissance de la part de ses enfants, pas de la part d’une marque.

 

 

 

Car d’autre part, il ne faut pas oublier que jouer est avant tout une forme de socialisation. Ainsi l’application Nike + permet de rajouter une dimension relationelle à une activité plutôt solitaire (la course à pied), via le partage de ses performances sur Facebook ou Twitter.

 

La gamification prend tout son sens lorsqu’elle sert une “quête” et lorsqu’elle est sociale

Richard Bartle est l’un des premiers chercheurs à avoir examiné la façon dont les jeux en ligne « massivement multijoueurs » affectent le comportement des individus. Au cours de ses travaux, il a observé quatre types de joueurs :

Il estime que les « Socializers », qui jouent avant tout dans une optique relationnelle et sociale, représentent la très large majorité (80%) de la population des gamers, devant les « Achievers » qui veulent avant tout gagner, les «Explorers » qui aiment découvrir le jeu dans ses moindres recoins, et les « Killers » dont le nom se passe d’explication.

 

Beaucoup de jeux vidéo mettent en scène une « quête » épique, un but suprême vers lequel tend le héros. Ces quêtes sont parfois collectives : dans World of Warcraft les joueurs collaborent selon des logiques de groupe très précises et tendent vers un même objectif.

 

 

Dans une démarche de gamification, l’idéal est que la marque puisse servir une cause qui lui est supérieure et qui dépasse le cadre de ses produits, un but inatteignable par un individu seul, qui mobilise une communauté de joueurs. C’est ce que l’on appelle un « Barn Raising ». On pourrait par exemple imaginer une marque de surf qui s’engagerait pour nettoyer les plages et qui ferait de ceux qui y contribuent les « héros » d’un jeu.

On a vu récemment l’exemple de Fold.it, un jeu en ligne permettant de « résoudre des puzzles pour la science », qui a permit à une équipe de 15 joueurs amateurs de résoudre une énigme de la recherche contre le Sida sur laquelle les scientifiques planchaient depuis des années. On peut également citer l’exemple du Guardian, qui transforma avec succès le scandale des notes de frais des parlementaires britanniques en une forme de chasse au trésor : sur les 400 000 notes de frais scannées par le gouvernement et remis au journaliste, le crowd sourcing de l’investigation a permis d’en analyser 224 000.

Dans un cas la quête est la guérison du virus du Sida, dans l’autre il s’agit de la quête d’une certaine justice sociale.

 

Il existe bien sur d’autres applications de la gamification, notamment dans le domaine du management, mais nous reviendrons peut être sur ces sujets dans de prochains articles…

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