03/27/2015

Transformation digitale et acculturation des dirigeants

Author: Bertrand Duperrin

Lorsqu’un projet de transformation digitale échoue c’est dans 80% des cas du à un problème de décision au niveau du top management. C’est ce que nous apprend cette étude récente que Manuel Diaz a déjà longuement commentée par ailleurs. Surprenant quand on voit le nombre d’entreprises qui se lancent dans cette transformation digitale ? Non. Décider d’y aller est une chose, faire les bons arbitrages qui en découlent en est une autre.

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Coté client, lorsqu’on bascule dans le digital il faut avoir conscience que cela signifie arrêter de faire certaines choses au profit d’autres. Oui il y aura des déçus, des zones de pouvoir et des budgets en mouvement et gérer cette dimension économique, politique et parfois affective est tout sauf simple. Il faut savoir trancher et parfois être directif comme l’explique le Chief Digital Officer de Phillips.

Coté collaborateur c’est la même chose en pire. Il faut faire changer les gens, bousculer les modèles hiérarchiques, les fiches de poste, la mesure de la performance, faire évoluer la culture d’entreprise tout en respectant ses valeurs, faire évoluer process et modes de prise de décision. Et je ne parle pas des guerres de clocher lorsqu’on parle de faire évoluer les technologies, lorsque la question de la gouvernance de l’information et de la communication se pose. Ici on touche à tout ce qui est structurant dans l’entreprise et, là encore, il y aura des peurs, des déceptions, des besoins de se réinventer soi-même.

Le digital n’est pas un concept que l’on apprend mais une expérience qui se vit au travers de la mise en œuvre de comportements et de technologie

Alors oui, cela demande du courage. C’est le rôle d’une direction générale. Le courage ne s’achète pas, c’est un fait. Mais il s’acquiert. A condition d’oser et de se donner le temps.

Ce qui pose la question de l’acculturation des dirigeants dans le cadre de la transformation digitale.

Il n’y a malheureusement pas de recette magique en la matière, juste quelques principes de base qui sont, toutefois, trop souvent laissés de coté.

Le digital n’est pas un concept que l’on apprend mais une expérience qui se vit au travers de la mise en œuvre de comportements et de technologies. On peut décider de la mise en place d’un ERP de manière rationnelle en regardant des tableaux de chiffres et en comprenant les concepts clés. Par contre décider d’un plan de transformation digitale c’est donner un cap, une orientation nouvelle qu’on ne peut formuler si elle nous est étrangère.

Il faut donc comprendre et s’immerger. Pour comprendre, on s’appuiera sur la multitude d’études qu’on trouve sur le sujet et le travail des consultants spécialisés. Mais ensuite il faut sauter dans le grand bain. Beaucoup d’entreprises ont recours à des learning expeditions et cela fonctionne. Le seul souci c’est qu’on y envoie encore trop souvent ceux qui expliquent aux dirigeants ce qu’ils ont vu alors que les dirigeants devraient y aller eux-mêmes. J’ai en tête une grande entreprise du CAC qui un jour a décidé d’envoyer des personnes de son comité de direction voir “comment cela se passait ailleurs”. L’effet a été immédiat et déclencheur de nombreuses décisions et arbitrages. A leur retour les personnes avaient plus que compris quelque chose, elles l’avaient vécu, l’avaient vu de leurs yeux et cela change tout. On passe du concept à une expérience vécue qu’on veut reproduire.

Un dirigeant n’est pas exemplaire par sa “Geekerie” mais par son comportement

Ensuite vient l’heure de la pratique quotidienne car il faut être exemplaire. J’ai eu ce débat lors d’un événement traitant  du sujet cette semaine : “le dirigeant doit il être sponsor ou exemplaire”. Certaines personnes ont dit “sponsor suffit”. Je ne le pense pas. Comment voulez-vous prôner de nouvelles manières de fonctionner si vous ne les mettez pas en œuvre vous-même ? Je vous laisse y réfléchir… Mais tout dépend de ce qu’on entend par exemplarité. L’argument de beaucoup était “on ne peut pas tous avoir un PDG Geek”. Et c’est là le problème. On ne parle pas d’être Geek ou pas mais de comportements, de postures, qui avant de se passer dans des outils doivent être la manière dont on travaille “in real life”. On peut avoir une ambition mesurée en la matière quand il s’agit de réinventer l’expérience client (quoique…) mais quand on s’attaque aux implications du digital sur l’interne, l’exemplarité n’est pas une option.

Les dirigeants doivent se demander comment le digital les aide à remplir leurs engagements vis à vis de l’entreprise et de leurs équipes

Les moyens existent. J’ai l’exemple d’une grande entreprise où le PDG a fait travailler son management board sur “qu’est-ce que le digital signifie pour moi, comment me permet-il de remplir mieux ma mission, mon engagement envers l’entreprise et mes équipes, quels engagements puis-je prendre à court terme afin, ensuite, d’être capable d’aider les autres à changer pour qu’à leur tour… Cela demande de la mobilisation et du temps mais cela fonctionne. On part de petits engagements, on suit, on coache, et au fur et à mesure que chacun prend de l’assurance en avançant à son rythme on s’enhardit et on prend des engagements plus élevés. Puis on est capable d’aider le niveau du dessous à changer montrant l’exemple. Et à un moment l’exemplarité des dirigeants rencontre les initiatives terrain des collaborateurs, leur donnent du sens, de la légitimité et les sécurisent. C’est là que la dynamique vertueuse s’enclenche.

Certains de ces directeurs ont choisi de compléter cela par un coaching individuel. Quelques heures ici et là avec un expert pour évoquer leurs préoccupations, demander un éclairage “digital” au moment de prendre une décision ou d’intervenir dans un comité.

Une multitude de dispositifs existent. Tout le monde n’ira pas à la même vitesse avec la même facilité mais on ne peut pas prendre l’absence de “QI Digital” des dirigeants comme un fait acquis et se résoudre à faire avec (ou sans…d’ailleurs).

Le courage s’acquiert par la compréhension et la pratique. Cela prend du temps mais l’expérience montre qu’il faut du temps pour que les choses se passent rapidement. Et ce temps il faut savoir le prendre. Si le temps des dirigeants est – on le comprend – limité, celui de nos entreprises peut rapidement s’avérer compté.

Bref, l’homme est le facteur lent de la transformation digitale. On le sait. Ça n’est pas une raison pour ne rien faire pour l’aider.
photo credit: (169/365) Urrghh…. via photopin (license)

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