11/03/2004

Je n’ai pas vu Tardi au générique ?

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

On va donc arrêter de parler TIC deux minutes et faire une petite récréation.

Ce post n’est pas une critique du film. Si vous voulez mon sentiment, je me retrouve plutôt bien dans les celles de Télérama ou Libération. Ici, je ne veux parler que d’un aspect bien précis du film, sa représentation de la Grande Guerre.

La Grande Guerre est tendance depuis quelques années. J’évoquerai certaines raisons dans un prochain post déjà prévu pour février prochain [27]. Son traitement au cinéma était très attendu car “Un long dimanche de fiançailles” est le premier grand film sur la Grande Guerre depuis Tardi, qui plus est par Monsieur Jean-Pierre Jeunet.
Tardi est un très grand auteur de la BD française et ses oeuvres sur la Grande Guerre [28] sont majeures. Elles ont fait date dans la réflexion sur 14-18, au même titre qu’un Pierre Miquel a su vulgariser le sujet.

Lorsque la bande annonce de “Un long dimanche de fiançailles” est sortie, le reste de cheval qui pendouille dans l’arbre surplombant la tranchée m’a tout de suite rappelé Tardi [29].

Jean-Pierre Jeunet ne s’en cache pas, il se retrouve beaucoup dans le traitement que Tardi a donné à la Grande Guerre. De fait, ce rendu est omniprésent dans le film. Il ne se limite pas à la Grande Guerre, il y a des scènes qui font immédiatement penser au personnage d’Adèle Blanc-Sec ou à “Brouillard au Pont de Tolbiac“. Il y a quantités de plans directement inspirés ou faisant écho à des cases de Tardi. Mais Jeunet a su les sublimer en y injectant son propre univers. Dans le glauque et renfermé, on pense notamment au “Bunker de la dernière rafale“. Jeunet dis qu’il ne pouvait rendre la véritable horreur des tranchées. C’est vrai. Il ne représente pas les boucheries hallucinantes dont le sommet est Verdun, mais ce n’est pas nécessaire. “Un long dimanche de fiançailles” a la dose suffisante de boue, de restes d’humains et d’inhumanité et de brutalisation [30].
La reconstitution est fascinante, le film en est d’ailleurs bourrés jusqu’à l’ivresse [31]. Le sens du détail est fascinant [32]. La seule erreur de casting semble l’Albatros [33].
De Tardi, Jean-Pierre Jeunet a aussi une proximité dans la vision très centrée sur le martyre du soldat et une sorte de fraternité dans la tragédie entre soldats français et allemands. On pense évidemment à Stanley Kubrick et à ses “sentiers de la gloire“. J’y adhère pleinement, mais si cela ne se résumait qu’à des généraux pourris ce serait simple. Les bouchers n’ont pas manqué, mais ils ne suffisent pas. Je n’aime pas trop le coup de la grâce du Président Poincaré. Mais l’absurdité de cette guerre se situe à d’autres niveaux.

Mais dans le fond, “Un long dimanche de fiançailles” n’est pas un film sur la Grande Guerre, plutôt sur l’immédiate après guerre. Via les destins croisés des différentes héroïnes on touche au traumatisme d’après guerre, en France et en Europe. Il y a des moments importants. La séquence du cimetière militaire, de ses croix à perte de vue et surtout de la rencontre qui s’ensuit. La recherche de l’ancienne tranchée dans un océan de Luzerne. Le destin du personnage de Clovis Cornillac qui m’a fait penser à ce que devient capitaine Conan à la fin du film de Tarvernier. Bien entendu tous les symboles du dénouements entre les deux personnages centraux.

Question cinéma et la Grande Guerre, deux films clés sont rediffusés ces jours-ci par Arte. “A l’Ouest rien de nouveau” vendredi et l’incontournable mais au combien traumatisant “Johnny s’en va t’en guerre“, la semaine prochaine.

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