12/21/2005

Dépasser le temps des constats

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Après l’année blog, celle-ci vient couronner le podcasting et plus globalement différentes questions existentielles autour de choses en 2.0.
On glorifie ce (nouveau) puissant qu’est l’utilisateur car c’est avec raison que l’on reconnaît (enfin) qu’il est la locomotive qui tire le train de l’innovation et du développement du réseau.
Ce constat est dorénavant partagé et admis, mais il faut aussi admettre que les deux années qui viennent de s’écouler ont essentiellement servit à cela : la réalité de la vitalité du réseau et de ses utilisateurs, l’émergence d’usages avancés de masse, tout comme la réussite spectaculaire de nombreuses initiatives opportunistes et innovantes voire de nouveaux modèles, avec en corollaire et preuve l’effondrement réel ou annoncé de certains modèles établis. Pour le reste… pas grand chose. Il n’y a pas encore de compréhension affirmée des ressorts de ce qui se passe, à telle enseigne qu’on a parfois l’impression de tourner un peu en rond au niveau de certains débats, en témoignent les développements récents du fameux web 2.0 qui touchent au fait même qu’il aie un sens !
Mais les choses devraient changer, c’est en tout cas le sentiment que je vous propose de partager, à l’aune de différents signaux récents. Le contexte bouge et l’affirmation du constat ne suffit plus. Il va falloir être en mesure de le dépasser voire de le défendre. Sans être rabat-joie, mais en essayant simplement d’observer les choses, voici donc quatre indicateurs soumis à votre sagacité…

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Le premier est une réticence, pleinement d’actualité, nourrie des tentations sécuritaires du législateur prompt à restreindre la liberté d’usages et surtout d’innovation des utilisateurs.
S’agit-il d’un signal que les choses avancent trop vite ? que les secteurs mis en difficulté par le développement de la société de l’information s’activent pour défendre leur bout de gras à défaut d’évoluer ? une tentation du politique de reprendre la main sur un espace dont les enjeux deviennent vraiment très importants ? Eh bien tout cela en même temps, avec en fil conducteur un grave déficit de compréhension et donc de pédagogie.
Il est clair que la compréhension des usages et de leur intérêt économique et sociaux par les politiques et décideurs, l’importance de maintenir l’internet comme un écosystème d’innovation, sont tout sauf des évidences. À défaut de les comprendre, ils cèdent aux sirènes de groupes d’intérêts dont on voit bien la volonté soit de tentative de maintien par la coercition de leurs intérêts économiques (cf le cas de la DADVSI), soit de prise d’intérêt sur le système (cf Tunis ou les brevets logiciels).
À force de parler entre gens convaincus on en oublierai que beaucoup et non des moindres restent à convaincre. Un nouvel effort d’évangélisation doit être mené. À trop avoir attendu et donc à ne pas avoir anticipé, on voit bien que l’on se retrouve en position défensive. Quand je dis cela, je pense notamment qu’il ne suffit pas d’exister ni même de communiquer. On a bien vu le monde du logiciel libre ferrailler sur les brevets logiciels et maintenant sur la DADVSI. Peut-être faut-il investir les lieux de pouvoir et de décision, revendiquer de siéger dans les instances où cela se passe, quitte à accepter de jouer le jeu du système. Exemple : saisir la main tendue qu’indique vouloir tendre le CSPLA.
Le second, c’est la sortie de route, quand des modèles que l’on veut croire indestructibles prennent un gros coup de défiance.
L’Internet se massifie et comme pour certaines théories scientifiques, on se rend compte que certains modèles fonctionnent bien, mais à certaines échelles. C’est à mon avis exactement ce qui s’est produit pour Wikipedia. Les modèles coopératifs ouverts sont riches et très jubilatoires, mais à un certain niveau de développement et de pratiquants, la gouvernance doit s’adapter pour faire face à de nouveaux risques. Il est ainsi clair que, dans l’affaire qui a frappé l’encyclopédie collective en ligne, tout le monde s’est dit que les décisions prises à l’issue de l’affaire Siegenthaler auraient pu être prises plus tôt. À défaut, l’institution subit une procédure collective, se révèle organisation et plus simplement communauté, la confiance en prend un coup, et avec elle une sorte de rêve. Ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour un paquet de modèles et de sociétés qui vendent peu ou prou ce type de promesse, d’autant plus quand on a défendu mordicus que la régulation collective était sans faille. Les discours très tranchés ont leur sens pour se faire entendre, mais quand la sauce prend, il faut en sortir.
Je sais bien que c’est un peu triste, mais il temps de réfléchir sérieusement aux modèles de gouvernance dans un paquet de modèles. La blogosphère ferait entre autres bien de s’en inquiéter. Ce n’est pas quand aura eu lieu une manipulation de grande envergure ou simplement l’usurpation d’identité d’un leader d’opinion sur un sujet sensible qu’il faudra se réveiller. Ainsi, si ce n’est déjà fait, quelqu’un va exiger un droit de réponse par un vrai billet autrement que par un commentaire et cela signifiera quelque chose. Je ne doute pas de la capacité collective du réseau à s’auto-réguler, mais un peu d’esprit de responsabilité et donc un effort d’éducation à un civisme du blogging ne serait pas un luxe.
Puisque l’on parle d’éducation, le troisième fait référence aux accusations de bavardage et derrière ça, de déception devant la réalisation plus ou moins prononcée de certaines promesses.
Il y a déjà un bon moment que des constats déceptifs ont été formulés sur les réseaux sociaux. Non pas que ce ne soient pas des innovations et des modèles pertinents, mais ceux qui en tirent profit sont ceux qui y investissent vraiment du temps. Il ne suffit pas d’ouvrir un compte pour que quelque chose se passe.
Même lieu commun, plus récemment, autour de l’exploitation à retirer de la production de la blogosphère. Non pas qu’elle ne le soit pas, productive, mais dégager de l’efficacité de ce flot, dans une logique de veille, nécessite des méthodes, du temps et surtout de l’assiduité.
Qui plus est, autant avec l’écrit, des méthodes de lecture rapide permettent de brasser de gros paquets de billets, autant le podcasting impose une attention plus soutenue, plus exigeante, sans doute un choix plus strict de ses flux, donc une plus forte fidélisation (cqfd ?).
L’Internet nous a donné de bons outils et ils ne sont pas en cause en tant que tel. Mais personne ne mettra en doute que l’on peut en retirer un résultat plus ou moins profitable suivant la manière dont on s’en sert, le sens qu’on leur donne, et surtout l’assiduité que l’on y consacre.
Là aussi, à trop présenter les choses sous un aspect magique, on crée les conditions de la déception et il ne faut pas s’étonner de voir monter l’expression de celle-ci. Souvenons-nous de la bulle 1.0 et sachons développer une vraie promotion des outils et des usages, en intégrant la posture et l’investissement personnel et collectif qui forment les conditions de résultats tangibles. Il faut dépasser la plomberie, penser en terme d’éducation, de formation et d’acquisition de bonnes pratiques.
Développer des usages, ça s’apprend et ça demande du temps. Dans ce domaine, l’école et l’enseignement supérieur ont des progrès à faire.
Quatrième et dernier indicateur, ce qui ressemble à la fin d’un cycle économique. Les deux années écoulées ont vu naître quantité de nouveaux modèles, avec des sociétés et des services prometteurs. En cette fin d’année, les FlickR, Del.ico.us et autres Skype ont été rachetés et intégrés par les gros poissons du bocal. Yahoo! et Google ont notamment fait de belles emplettes. Après le printemps des jeunes pousses, on va entrer dans une autre saison, où les beaux assemblages de services qui en résultent vont être soumis au feu de la rentabilité. Là aussi plus qu’ailleurs, les promesses vont devoir être tenues.

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