01/05/2007

Les blogs sont reconnus mais pas compris

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

2006 s’est terminée sur une forme d’aboutissement du monde des blogs, entre reconnaissance de son influence et pronostic de plafonnement, saupoudrés d’un événement qui s’est avéré riche en symboles. À l’heure de la banalisation du phénomène, le monde des blogs se demande où il en est.
C’est un peu comme quand on vous renvoie une image de vous qui est en décalage avec l’idée que vous vous en faisiez. Le réseau a une haute idée de lui-même, de sa force et de sa capacité à transformer la société et personne ne nie plus que le réseau participe de cela. C’est même là qu’il trouve sa richesse et son intérêt, mais ce n’est pas vers cela que la reconnaissance qu’il a gagné en 2006 vient porter. Oui, le net en général et “la blogosphère” en particulier ont été adoubés dans leur capacité à compter en ce bas monde, mais non pour ce qu’il sont que pour le fait qu’il constituent de nouveaux espaces d’influence. Etre instrumentalisable quand on pensait être en situation d’instrumentaliser, c’est un peu le noeud du problème. Pour l’illustrer, le marketing et la politique tombent à pic.


En politique, 2006 finit dans le doute pour la sphère autoproclamée “citoyenne”. Il est vrai qu’après une année riche en événements et en expériences, après la révélation qu’a permise Loïc, l’épisode des voeux est venu enfoncer le constat que nos chers candidats (et leurs partis) n’ont rien compris de la Société de l’Information et y recherchent surtout un nouveau terrain de propagande alors qu’il y aurait tellement à faire en terme de levier de changement. J’étais personnellement resté sur une bonne impression de début 2006 du fait des députés trublions de la DADVSI. Ces gens disaient des choses intéressantes, mais on ne les entend plus, ce qui n’est pas fortui.
Combien de e-divisions ? ça pourrait se résumer à ça, car après des balbutiements sympathiques et interactifs, l’heure n’est plus à l’interaction. Le réseau est traité comme un média de plus avec simplement l’attente d’une plus grande capacité de viralité. Les observateurs du net en politique, moi le premier, espéraient de l’interactivité de masse, mais au final celle-ci reste cantonnée à la marge et dans une sphère assez limitée. D’ailleurs, plus on va approcher de l’échéance, moins je vois de candidat prendre le risque du dérapage incontrôlé. Il est des éditorialistes qui attendent du net qu’il mette le bazar, mais pour ces raisons je ne pense pas que cela soit.
Au-delà des raccourcis, Pierre Guillery pointe ici deux choses intéressantes. D’une part l’idée fausse d’un parallélisme avec les USA mis à mal par la différence de notre culture militante, d’autre part le fait que ça manque de subversion et que le réseau est somme toute bien sage. Il ne faudrait pas laisser croire à certains qu’il est déjà sous contrôle. La DADVSI avait déjà montré que buzz et mobilisation n’étaient pas la même chose, qu’il manquait d’instruments pour peser vraiment, que la Société de l’Information n’avait pas de relais ou de lobbys efficaces. Du web citoyen au militantisme, il y a un pas à franchir et qui ne l’est pas. On reste donc orphelin de formes nouvelles, à l’instar des aiguillons US et je ne vois pas à quelque mois de l’échéance suprême l’innovation jaillir.
Du côté des marques maintenant, la seconde partie de 2006 a été marquée par l’affirmation du buzz marketing comme élément incontournable de l’armement de campagne, mais ce n’est pas sans faire grincer des dents.
Je passe volontairement sur le fond, à savoir la montée en charge du néomarketing , ce changement lourd pour lequel la question n’est plus de savoir s’il faut, mais de décider quand et comment.
Justement, c’est le comment qui pose des questions. La principale, fin 2006, c’est ce certain malaise qu’ont bien relayés plusieurs blogueurs émérites autour de ces campagnes virales dans le cadre desquelles ils étaient appelés comme leader d’opinion à la promotion de certaines marques et produits. Ainsi Padawan, Versac, jusqu’au déjà culte manifeste de Fred Cavazza. Comment intégrer des blogueurs dans une campagne et bénéficier de leur crédibilité alors que celle-ci est d’abord assise sur leur indépendance et que le fait qu’il aient été destinataire du produit les met en balance ? tel est le noeud du problème, bien résumé par Christophe Guillemin. À lire les commentaires là et ailleurs, l’exercice est en effet délicat.
Déjà, je trouve éloquent de parier sur la simple notoriété de quelques uns, selon le postulat qui voudrait qu’il n’y ait qu’une blogosphère alors qu’il y en a plein. Mais admettons que le ciblage soit pertinent, raisonner en leader d’opinion, même avec des blogueurs, revient de toute façon à le faire dans une logique médiatique assez convenue. Certes, un blog, c’est aussi une marque et le blogueur lui-même en dégage un positionnement marketing personnel qui peu donner des idées de marchandisation. Mais finalement, on est là dans une reformulation de convenances et dans une vision du réseau comme d’un terrain d’influence et de viralité qui reformule le traditionalisme des médias, vernis technologique mis à part. On rejoint ici l’exemple politique. On pratique mais on ne comprend pas l’essence du réseau. Comme le formule Fred Cavazza dans son manifeste, le blogueur n’est pas un boîte aux lettres dans laquelle le produit déposé sera forcément promu à destination du réseau et lecteurs de l’intéressé.
L’embêtant et même si c’est une réalité, c’est que les blogueurs ne soient en fin de compte perçus que comme de simples influenceurs, potentiels supports médiatiques de campagnes, comme n’importe quel journal. C’est un peu réducteur pour l’idée que le réseau se fait lui même de sa capacité d’influence et en particulier de celle qui montre les consommateurs en attente d’une relation plus directe avec les marques et leurs produits.
Les blogs ne sont donc conçus que comme une nébuleuse médiatique dans laquelle il suffirait d’exister pour susciter de l’attention et peut-être créer de la viralité pour peu que le message réussisse à l’impulser, avec entre autres accélérateur l’instrumentalisation des leader d’opinion. On est donc bien dans l’idée confortable d’un nouvel espace médiatique sur lequel les anciennes recettes s’appliquent pour peu de changer un peu les ingrédients.
C’est évidemment une vision réductrice du réseau car, hors l’évaluation de la performance de pénétration du message, cela élude la voie montante et nie donc l’interaction. La preuve, c’est la peur que suscite la capacité du réseau à réagir lui-même, ce qu’il ne manque pas de faire à l’occasion. Cela est perçu comme un risque et relève alors de la gestion de crise. Les cibles parle de nous, quelle horreur !
Le réseaux et les blogs sont actuellement compris comme un outil et pas comme l’espace social qu’ils sont et que perçoivent pourtant comme tels ceux qui le pratiquent. Les marques comme les politiques cherchent à se servir du moyen, pas à y entrer, pas à se remettre vraiment en question, au-delà de quelques bonnes intentions.
L’essence même du réseau et des blogosphères, c’est leur maillage et sa capacité à créer des réseaux d’influence de confiance dans lequel s’expriment et se discutent des avis. L’intérêt primaire n’est pas d’y adresser du message, même indirectement, mais déjà de profiter de la transparence qu’ils offrent pour y prendre la température et y mesurer des perceptions et tendances. C’est ce que faisait très bien un DSK avec son blog dans le domaine politique, c’est ce à quoi s’essaye la SNCF. Le bloguing, ce n’est pas que bloguer, c’est déjà se constituer un écosystème de veille et intervenir en commentaire sur le sujets qui vous concernent.
En outre, à l’heure des modèles e-commerce distribués à la Zlio, ce n’est pas le blogueur influent qui est intéressant, ce sont les 29% de français qui intéragissent et qui se disent des choses entre eux. Savoir les écouter et développer de la relation avec eux, voilà ce que personne ou presque ne fait, alors qu’il y a là une démarche plus durable qui n’attend que d’être développée.

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