01/10/2007

Nous sommes invisibles

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Il fut un temps où je bloguait plus qu’aujourd’hui sur le thème des territoires numériques, mais c’est une facette que je continue de cultiver d’autant plus qu’on m’y invite, justement pour partie à cause du blog. Entre une intervention experte sur les espaces publics numériques et une contribution sur le très-haut-débit, que je qualifierai de “militante”, à un ouvrage collectif dont je vous parlerai dans quelques semaines, je me suis retrouvé ce matin à la Caisse des Dépôts et Consignations pour témoigner et échanger auprès d’un groupe de travail conséquent et bien fréquenté portant sur les méthodologies de développement économique numérique. Il me semble que la proximité des prochaines échéances électorales suscite un besoin fort de cristalliser certains sujets et de dégager des solutions. Parmi les constats trop nombreux à énumérer et développer dans un simple billet, il en est un assez essentiel à mes yeux car il participe de manière centrale de la faiblesse de l’économie de l’immatériel en France : l’absence de matérialisation tangible du secteur et de son poids économique en terme statistique. En effet, nous sommes invisibles !


Cela peut paraître incroyable, mais personne ne sait quantifier l’emploi et le poids économique de l’économie des TIC en France et cette carence se fait cruellement sentir. De fait, au-delà des intentions, il n’y a pas de réalité tangible qui s’offre aux élus et décideurs pour que ceux-ci prennent conscience des enjeux. Et le fait est qu’ils ne la prennent pas, à l’exemple de cette formule lue cette semaine à propos de développement économique local : “que je sache, aucun camion ne circule sur Internet”. À l’heure où les médias raisonnent d’histoires de désindustrialisation, la montée en charge de l’économie des services numériques n’apparaît pas.
Et pourtant. Quelqu’un a souligné que la vente de produits et services numériques pesait plus de 60% de l’activité d’une FNAC qu’on penserait d’abord libraire et disquaire. Le représentant de la Région Pays de Loire nous a expliqué par quel travail d’extraction le secteur s’était révélé riche de plus de 30 000 emplois dans sa région, avec un besoin de plus de 1000 nouveaux ingénieurs chaque année, alors que les projecteurs étaient braqués sur les 4500 emplois dans et autour des Chantiers de l’Atlantique. La représentante du Medef a évoqué ces 250 000 emplois que représenterait aujourd’hui le secteur de la téléphonie mobile en France. En Limousin, Stéphane a rappelé que la candidature du pôle Elopsys avait révélé aux élus locaux que l’électronique et les TIC pesaient beaucoup plus que le traditionnel secteur céramique et qu’il avait lui aussi légitimité à candidater pour un pôle de compétitivité, gagnant au bout du compte.
L’économie numérique existe, elle pèse d’un poids réel, mais nous ne venons que de commencer à extraire de la réalité des chiffres propres à éclairer et à convaincre élus et décideurs de considérer les enjeux de ce secteur et pas seulement les marronniers économiques habituels. Comme nous en avons convenu ce matin, c’est un préalable incontournable si l’on veut donner corps à une véritable ambition de développement économique. C’est aussi un moyen essentiel pour démontrer aux secteurs traditionnels l’importance d’investir dans les TIC car eux non plus ne quantifient pas la croissance économique qui en résulte.
Pour peser, il faut se rendre visible et il paraît quand même assez improbable de se dire que l’on développe des initiatives depuis maintenant plus de dix ans sans dresser d’état des lieux clair. Si on ne sait pas d’où l’on part, peux t’on savoir où on doit arriver ? est-on en mesure de quantifier les moyens au regard de marges de progression indéterminées ?
Maintenant, le remède est bien cerné, reste cependant à l’appliquer.
Premier constat, dramatique, il n’y a aucun standard ni boîte à outil sur laquelle s’appuyer. L’INSEE n’a rien à dire. Elle n’a d’ailleurs pas les outils pour le faire. Il faudrait définir les choses, ce qui passerait par exemple par une réforme des codes APE mais on connaît bien combien ils sont déjà mal en point du côté des services.
Sur le terrain, j’avais déjà eu l’occasion de bloguer sur la faiblesse des outils d’observation et nous avons renforcé le constat ce matin. En l’absence de référentiel, ceux qui existent n’ont de point de comparaison qu’avec eux-mêmes et pour les autres, il apparaît délicat d’engager l’exercice et de matérialiser une réalité qui n’est sans doute pas celle qu’on imagine et qui a été vendu. Il est des fois où certains se disent qu’il il vaut mieux rester ignorant…
Il y a donc un énorme travail à accomplir. Il est d’autant plus essentiel que pour l’instant, ça ressemble à de la conduite dans le brouillard et en territoire inconnu. Nous même, acteur de ce secteur, n’avons que notre engagement et quelques tartes à la crème pour nous compter et exister, il serait peut-être temps de s’en préoccuper.

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