07/22/2007

Une décennie de blogs

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

D’après le Wall Street Journal, la blogosphère fêtera ses 10 ans le 23 décembre prochain. En celui de 1997, un certain John Barger avait appelé “weblog” la page personnelle où il publiait (et publie) un billet quotidien de son surf.
La lecture de cet article et la diversité des personnalités qui le nourrissent est très représentatif à la fois de l’incontournabilité des blogs aujourd’hui, notamment en terme politique, mais aussi des questions qui restent posées.


À titre personnel, je pense que les blogs ne sont plus un sujet. Ils sont un fait, celui de la démocratisation de la capacité à publier et être lu (écouté ou vu), au-delà des médias. En fait et plus largement une capacité à s’exprimer sous une forme qui laisse une trace (et dieu sait qu’une trace sur le net est plus durable et trouvable que partout ailleurs). Ils étaient surtout la composante pionniere de la vague web 2, dont les services ont largement outillé l’internaute sur le registre de la publication certes, de la socialisation surtout.
Se focaliser sur les seuls blogs est un peu court, mais je me suis fait à l’idée que les médias nourrissaient un rapport particuliers à la frange des blogs qui leur renvoient quelque chose, oubliant que la grande masse de ce qui se publie n’a aucune consonance médiatique et sert simplement aux interactions avec un réseau de proches au sens large. Cela n’empêche pas les effets de mobilisation, mais ce que nous raconte Xiao Qiang est bien plus large qu’une simple histoire de blogs et renvoie aux smart mobs décrites par Rheingold.
En France, les blogs ont émergé en 2005 dans le giron du référendum sur le traité constitutionnel. Lors de la dernière séquence électorale qui a vu le web au centre du jeu, les blogs n’en étaient plus qu’une composante maîtrisée. Maintenant, je serai curieux de voir émerger un DailyKos français qui aiguillonnerai autant le PS que le parti démocrate, tout comme des formes de mobilisation renouvelées, telles celles des Freeters japonais. Mais il a déjà été montré que les cultures influent beaucoup dans le sens donné aux usages numériques. Pour les blogs, c’est pareil.
J’ai envie de croire que nous sommes sortis d’une relation tendue entre blogs et médias, surtout depuis que ces derniers font leur chemin vers les premiers en mettant enfin le numérique plus au centre de leur modèle. Il y a aussi une frange de blogs qui ont atteint un haut degré de médiatisation et qui fait plus que friser la dimension instituitionnelle. Cela me fait penser à l’épisode People Ready, où quand Microsoft est le bon client à une polémique stupide mais révélatrice de la montée en puissance de blogs de renom et des enjeux économico-médiatiques qu’ils représentent.
Mais passé cette frange, certains comme Tim Wolfe trouve qu’il y a beaucoup de bruit et peu de signal. C’est exact, ça dépend de ce que l’on cherche et c’est assez représentatif d’une approche d’un bloc, en blogosphère monolithique, ce qu’elle n’est pas. Certains voient donc les blogs comme une pépinière à de nouveaux médias, d’autres comme une expression de l’opinion, avec des applications concrètes et des effets de mobilisation citoyens ou militants. Derrière cela, la question c’est de savoir comment détecter et évaluer. Technorati a ses limites et s’il faut chercher un endroit où la température s’exprime, c’est à mon avis celui des reviews. Faire une bonne revue, voilà un métier d’avenir et pas seulement du point de vue de l’agrégation et des instruments de qualification. Car derrière la revue il y a les contributeurs explicites ou implicites et cette difficulté à en avoir un contours clair. Le net est un thermomètre, encore faut-il être capable de savoir quelle température il exprime ? à l’heure de l’internet de masse, il me semble important de savoir dessiner et travailler les sous-communautés. Sur ce point, il y a du pain sur la planche.
Mais le vrai débat qui s’éclaire, c’est encore celui des blogs comme champ de production collectif avec la notion d’intelligence collective en arrière-plan.
Il y a d’abord cette nouvelle attaque critique envers Wikipedia, avec cette très intéressante enquête, portant non pas sur la qualité de la production, plutôt sur la réactivité de la modération collective face à la tromperie. Le fait est qu’il faut parfois plusieurs jours pour recadrer une information manifestement erronée, mais est-ce vraiment surprenant ? On attend beaucoup de Wikipedia. Cela pose de bonnes question sur le management éditorial. Cela éclaire aussi les limites de modèles construits sur un degré de maîtrise et d’éthique qui dépasse largement celui du cercle des geeks et des gourous. Une question que je me pose régulièrement au regard de certains services du web 2 qui ne me semblent pas avoir pris la mesure des enjeux démocratiques du réseau et la diversité des utilisateurs. Une question finalement renvoyée au monde de l’éducation dans le rôle qu’il doit avoir à l’apprentissage des nouveaux médias et des médias tout court, ce qui n’est pas qu’une affaire de compétence-outils.
Il y a ensuite de premières réponses sur le crowdsourcing appliqué au monde des médias, c’est-à-dire sur des besoins du présent. Wikipedia a déjà produit des exemples spontanés démontrant la force de réactivité et d’exhaustivité que la foule est capable de mobiliser, mais qu’en est-il dans une optique plus proche de la commande ? Vous lirez ou avez alors déjà lu Francis Pisani ces derniers jours, notamment à propos de Assignment Zero, expérience de contribution à Wired par un pool de 900 contributeurs. Les résultats sont intéressants au plan du brassage des idées et de la création de valeur, ce qui est somme toute rassurant quand on songe que la capacité à créer du bouillon de culture fertile est la promesse même de ce type d’écosystème. Reste à transformer l’expérience en modèle et je me rappelle avoir entendu de grands pontes des médias dire des choses autour de la nécessaire externalisation de certains sujets à la foule, notamment dans le registre de l’info locale, une idée jamais transformée. Quels sujets sont porteurs pour cet exercice et selon quelles conditions écosystémiques ? voilà un sujet intéressant quand on voudrait parler d’autre choses que de politique ou de technologies.
Les blogs ont donc dix ans et forment un vaste écosystème social qui, s’il est accepté et intégré au paysage social, n’en reste pas moins un univers encore en recherche d’instruments qui en éclairent les lignes de force et poussées de fièvres ainsi que pour déterminer des modes de transformation. Sur ce point, il y a encore du chemin à faire au plan de l’intégration socio-économique.

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