10/18/2007

Des additions de l'attention

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

À l’heure où certains comptent ce que coûtent les réseaux sociaux et notamment Facebook, la nouvelle économie qu’on cherchait est l’l’économie de l’attention, plus personne n’en doute, cela dit, de quelle attention est-ce que l’on parle ?
Les modèles numériques ont la bonne idée de trouver des alternatives pertinentes à ceux fondés sur la pénurie, mais il n’en reste pas moins que notre temps est quand à lui bien limité et que son exploitation est la base de bien des modèles numériques. En ce domaine, je trouve que l’on manque un peu de finesse. Déjà, l’attention est le temps sont deux choses différentes et la confusion entre les deux manifeste. Ensuite, j’ai toujours trouvé réducteur cette propension à considérer que l’utilisateur soit toujours pleinement focussé sur ce qu’il fait alors qu’en vrai, nous passons notre temps à faire plein de choses en même temps, à être en mode multitâche, donc dans une exploitation plurielle de la même séquence de temps couplé à une dillution de l’attention.


Il y a déjà 5 ans, lorsque je consacrais une partie de mon temps à caractériser la montée en charge des usages numériques à l’heure de la massification de l’internet, j’avais coûtume de dire qu’ils n’était pas subsituants aux usages traditionnels, qu’ils créaient une pluralité de modalités que l’individu devait apprendre à gérer. Les usages ne se subsituent pas, ils s’additionnent et c’est opportunément ce que vient rappeler le LiftLab en pointant une analyse de Stefana Broadbent sur la consommation des médias. En effet, si on observe celle-ci en combinaison linéaire, cela remet en perspective pas mal de choses. Ainsi la vidéo en ligne n’est pas substitutive de la télévision, mais là où la vidéo concentre toute votre attention sur des séquences courtes, la télévision ne nécessite pas forcément beaucoup d’attention de vôtre part et se mixe facilement avec pleins d’autres choses que vous pouvez faire en même temps.
Ce que nous raconte tout cela, c’est que nous sommes multitâches, avec plein de services ouverts en même temps, mais positionnés sur des plans différents qui mobilisent chacun une part de notre attention dans le même temps. Exemple type : pendant que j’écrivais ce billet hier soir, j’avais en arrière plan un magazine écolo sur F3 qui fonctionnait un peu comme de la radio convertie en image quand mon attention s’y collait vraiment, je répondais à mes mails, jettais un oeil sur Twitter et sur les flux RSS qui venaient de tomber dans mon agrégateur au passage. Accessoirement dans l’attention, il y avait une de mes filles qui m’apporte un dessin et un copain qui m’appelait pour m’inviter à l’apéro samedi. Une belle distribution avec des usages en fond, d’autres très mobilisateurs mais distribués en courtes séquences, le tout dans un contexte plus ou moins perturbé par des événements extérieurs.
Au final ce qui consomme peu d’attention trouve une place en arrière plan sur des séquences de consommation longues (TV, radio, musique). Ce qui en consomme beaucoup s’inscrit en pointillé sur des séquences courtes (mail, IM, vidéo), plus des usages mixtes avec typiquement le téléphone. Le degré de consommation dépend évidemment de la mobilisation des sens que l’usage suppose, l’interaction en étant un en lui-même. Ce qui est également important, c’est le contexte l’environnemental où la maîtrise de l’attention est plus ou moins dérangée par des sollicitations extérieures
Comme le LiftLab, je m’interroge donc sérieusement sur la pertinence des modèles qui imposent une forte attention des utilisateurs et qui en même temps voudraient que leurs consommateurs dépensent beaucoup de temps chez eux.
Ainsi, la vidéo m’a toujours posé un problème car dans le déluge d’infos que je dois brasser chaque jour, elle est un gros consommateur d’attention, ce qui fait qu’elle m’oblige à une sélection drastique dans la consommation que je fais de ce support. Du coup, je trouve logique que la viralité lui soit très liée car elle a besoin d’une forte prescription pour être sélectionnée à la consommation. Paradoxalement, la télévision est moins sollicitante et se maintient quand même car elle autorise de partager de l’attention avec autre chose. Dans un autre registre, on remarquera que Twitter ne mobilise finalement pas beaucoup d’attention (en fait pas plus que de l’IM) et s’intercale parfaitement bien dans un contexte multitâches.
Est-ce que les services qui réussissent ne sont pas finalement moins ceux qui sont en soit jolis, fonctionnels ou tendances, que ceux qui savent rapidement et durablement trouver leur place en articulation avec les usages que nous articulons déjà quotidiennement. Paradoxalement, est-ce que le fait d’induire immédiatement des habitudes, le contraire du changement et de la nouveauté, n’est pas une clé de succès ? Une habitude n’est-elle pas au final une action dont le rapport coût-temps/efficacité est source de satisfaction. Une habitude n’est-elle pas l’illustration même de la fidélisation ?

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